Transat A.T. : ébauche d’un plan B
Je demeure convaincu que l’acquisition de Transat A.T. par Air Canada demeure la meilleure solution. Mais plus le temps passe et plus il devient possible que cette transaction ne se fasse jamais. Les dirigeants de Transat A. T. doivent donc se pencher sur un plan qui permettrait à l’entreprise de survivre seule. Malgré la crise qui sévit, tout n’est pas noir et voici une hypothèse qui pourrait permettre à Transat A.T. de survivre.
Transat A.T. avant la pandémie
On a souvent tendance à oublier que Transat est d’abord et avant tout un voyagiste. Le gros de ses revenus provient de la vente de forfaits voyages. Avant la pandémie, c’est la saison estivale avec les forfaits de voyages en Europe qui générait le plus de profits. Le voyagiste est également très présent sur les destinations soleil. Mais ce marché était très compétitif avant la pandémie et il était rarement profitable pour Transat A.T.
En 2019, la division Air Transat avait une flotte de 37 appareils afin de répondre aux besoins de la maison mère. La composition de la flotte était alors la suivante : vingt A330, six A310, cinq B737-800, quatre A321ceo et deux A321LR. De plus, durant la période hivernale, elle avait des ententes de locations temporaires pour 22 appareils monocouloirs. Elle offrait des vols vers 24 destinations européennes et 28 destinations soleils.
Montréal a toujours été le point fort d’Air Transat en particulier vers la France; durant la saison estivale, près de 30 % de ses clients étaient des citoyens français sur les vols transatlantiques. Transat A. T. est donc un nom connu et apprécié en France. Mais il ne faut pas oublier que les voyageurs québécois représentent encore plus de 50 % de ses revenus annuels.
Air Transat n’était membre d’aucune des trois grandes alliances aériennes : One World, Sky Team et Star Alliance. Mais elle parvenait tout de même à tirer son épingle du jeu.
L’après COVID-19
Au Canada, l’obligation de la quarantaine à l’hôtel pour les voyageurs entrant est la mesure la plus restrictive mise en place. Tant et aussi longtemps qu’elle demeurera en vigueur, il n’y a aucune possibilité de reprise pour le transport aérien.
Les compagnies aériennes canadiennes sont sur la paille et si le gouvernement canadien ne les aide pas, je n’aurai probablement jamais l’occasion de parler d’elles au présent. La relance de Transat A.T., et celle des autres compagnies canadiennes, est donc tributaire d’une intervention d’Ottawa.
Le consensus général est que la reprise du transport aérien prendra du temps. Ce n’est pas avant la fin 2024 ou 2025 que le volume de passagers reviendra à celui d’avant la COVID. Pour 2022 et 2023, Transat peut espérer une remontée à 60 % ou 80 % de son chiffre d’affaires tout au plus. Il risque aussi d’y avoir une disparité entre la reprise des vols transatlantiques et les destinations soleil. Les forfaits vacances dans le Sud sont moins dispendieux que ceux pour l’Europe. De plus, le moment de la levée complète des restrictions de voyage y fera pour beaucoup. Au rythme où vont les choses, la saison estivale est déjà pratiquement perdue.
Les destination soleil
Pour les destinations soleil en tout inclus, la saison d’hiver 2021-22 pourrait connaître un rebond spectaculaire de la demande. Mais l’offre est abondante sur ce marché et les marges sont très minces. Même si le volume atteignait 60 % de la capacité, ce sera à perte que les compagnies vont opérer. Mais elles n’auront pas le choix non plus car il faut rebâtir la clientèle, le réseau et relancer les infrastructures.
Avant de s’entendre avec Air Canada, Transat A.T. voulait développer sa propre chaîne hôtelière dans le Sud. La logique de cette décision était basée sur le fait qu’avec la forte compétition, il n’y a presque plus de marge bénéficiaire sur les forfaits voyages. En opérant son propre réseau, Transat pourrait alors avoir une meilleure marge sur le séjour à l’hôtel. De plus la compagnie serait en mesure de mieux contrôler la qualité des hôtels.
Dans l’économie post pandémie, ce plan n’a pas perdu sa pertinence bien au contraire; la pression à la baisse sur les prix des forfaits sera encore plus forte et il sera très difficile de les rentabiliser. De plus, les chaînes d’hôtels ont perdu beaucoup de valeur et il y a de bonnes occasions d’affaires pour les entreprises qui ont des liquidités. Je vais aborder la question du financement dans un autre chapitre.
Le marché transatlantique
C’est le marché de prédilection de Transat A.T. et en particulier la liaison Montréal-Paris. Mais sur ce marché Air Canada et Air France sont également très présentes. De plus, Air Canada profite au maximum de sa présence au sein de Star Alliance; les compagnies européennes partenaires offrent plusieurs destinations au départ de Montréal en code partagé avec Air Canada.
Pour sa part, Air Transat offrait près de 24 destinations européennes au départ de Montréal avant la pandémie. Relancer toutes ses routes représente un défi de taille alors que la plupart seront déficitaires au début. Mais Air Transat possède un énorme avantage sur ses compétiteurs; elle possède sept A321LR, en recevra deux autres ce printemps. Au printemps 2022, elle en aura plus d’une douzaine en service. Cet appareil de 199 passagers peut effectuer plusieurs des liaisons transatlantiques au départ de Montréal. Transat A.T. pourra donc ouvrir des liaisons secondaires plus rapidement que ses concurrents. Elle pourra surtout les rentabiliser beaucoup plus rapidement.
En adhérant à l’alliance One World, Transat pourrait alors offrir plus de destinations européennes en code partagé. Les destinations offertes par British Airways et Iberia seraient un bon complément à Transat A.T. La compagnie canadienne pourrait alors se concentrer sur la France et l’Italie le temps que la demande revienne. Mais l’adhésion de Transat à l’alliance One World devrait se faire à l’été 2021 pas plus tard.
Les coûts
L’achat d’un réseau d’hôtels de qualité pourrait coûter jus qu’à 250 M $ soit 50 % de moins qu’avant la pandémie. Il faut prévoir un autre 250 M $ pour la rénovation et les pertes d’exploitation des trois premières années.
Air Transat a des ententes de crédit-bail pour tous les A321LR qu’elle a reçus et il en sera de même pour les dix autres à venir. Il n’est donc pas nécessaire de prévoir des sommes supplémentaires pour leur acquisition. Toutefois, il faut s’attendre à ce que la compagnie essuie des pertes lors de la relance de certaines liaisons. Une provision de 125 M $ sur trois ans serait un coussin suffisant. Enfin, il ne faut pas oublier que la compagnie devra rembourser près de 450 M $ à ses clients pour les vols annulés.
Transat A.T. a donc besoin de 1,1 G $ pour mettre sur pied un plan d’action de survie à long terme.
Le financement
On sait que le gouvernement canadien prépare un programme d’aide; Il faudra que cette aide couvre au moins le remboursement des passagers et un peu plus. En supposant que l’aide du fédéral atteigne 575 M $; il resterait alors à trouver 500 M $ afin de pouvoir mettre en place le réseau hôtelier. La question ici est de savoir si le Fonds de solidarité, la Caisse de dépôt ou encore Investissement Québec seraient partants pour un tel soutient.
Dans ses états financiers de 2020, Transat affirme avoir besoin de 500 M $ en crédit si la transaction avec Air Canada tombe à l’eau. La direction déclare avoir débuté des discussions avec des institutions financières. De plus elle explore la possibilité d’avoir recours à certains programmes d’aide existant tel que le crédit d’urgence pour les grands employeurs.
Si Air Canada décide de laisser tomber la transaction, la compagnie pourrait également se tourner vers Québec pour de l’aide. Avant la pandémie, la possibilité d’un sauvetage de Transat A.T. par l’État québécois était un sujet politiquement très délicat. Maintenant il ne s’agit plus de savoir si le gouvernement doit venir en aide aux entreprises mais plutôt de savoir est-ce qu’il en fait assez. Mais il ne faut pas oublier qu’avant la pandémie, la seule dette de Transat était ses obligations locatives. Elles s’élevaient à 719 M $ et elles sont maintenant de 854 M $. Durant l’année 2020, Transat A.T. n’a emprunté que 50 M $ afin de couvrir ses pertes.
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L’idée de joindre une alliance (One World) n’est pas saugrenue. Toutefois, le réseau actuel de TS n’offre pas la possibilité de joindre d’autres destinations que les membres de l’alliance ne peuvent faire d’eux-mêmes. Concrètement, TS n’offrirait rien de plus à l’alliance, ce qui sous-entend que l’alliance ne bénéficierait nullement de l’ajout de TS. Or, dans le contexte actuel, TS n’est pas en mesure de prétendre pouvoir se réajuster (en termes de réseau). En somme, aucune alliance ne gagnerait à rajouter TS. À mon cœur défendant, je dois admettre que TS est contrainte à se débrouiller toute seule quitte à sérieusement revoir son modèle et surtout sa philosophie.
Ce sont les vols d’Air Transat entre la Canada et La France qui serait un plus pour les membres de One World. Montréal-Paris est l’un des plus gros marché transatlantiques et One World est pratiquement absente. De plus, si Transat développe son réseau d’hôtels dans le Sud, elle pourrait offrir des nuits à rabais aux membres de l’alliance, ce qui leur permettrait de concurrencer TUI qui a ce genre de forfait dans les Caraïbes.
Ce serait très risqué (et peut-être très couteux) d’affronter directement Star/A++. J’aurais plutôt opté pour un réajustement du réseau et de la clientèle cible (par exemple les diasporas africaines).
Air Transat devrait affronter les membres Star Alliance quelle joigne ou non à One World. Dans le contexte d’une demande réduite, le plus gros atout d’Air Transat demeure ses A321LR que ses compétiteurs n’ont pas. De manière générale, la clientèle francophone est sa cible principale. Oui à l’ouverture vers la diaspora africaine si la demande le justifie. Avec les A321LR, Air Transat pourra aussi rentabiliser plus rapidement Montréal-Bordeaux-Toulouse-Lyon-Nice. Pendant ce temps AC aura du mal à remplir ses A330 sur ces routes. L’alliance permettrait d’ouvrir Barcelone et Madrid en code partagé avec Iberia ce qui serait un gros +. Mais je reconnaît que l’acceptation de Transat dans One World n’est pas garantit.
Osons espérer que les dirigeants de Transat puissent accepter l’idée qu’il y aurait une autre alternative à ce concubinage forcé. À ne pas oublier que la clientèle dans son ensemble demeure loyale au prix le plus abordable et non la marque (surtout dans ce segment) et aussi la demande dépend avant tout du pouvoir discrétionnaire qui sera forcément impacté à la suite de tout ce qui arrive. Réflexion très pertinente André!
Bien d’accord à propos de la loyauté de la clientèle.
très bonne analyse !
On semble oublier l’histoire de l’aviation au Québec et que c’est Ottawa qui en est le gestionnaire. Chaque fois qu’un transporteur est devenu « intéressant « …ou trop gros il a fini par disparaître pour toutes sortes de « bonnes ou mauvaises raisons. Comme dans l’eau, un petit poisson se cache ou est avalé par un gros. … A moins qu’il soit protégé par un gros.
La capacité d’Ottawa de foutre le bordel et de n’intervenir qu’aux mauvais moments et pour de mauvaises raisons semble sans limite.
Une relance possible dit-on ???. …http://lapresse.ca/affaires/entreprises/2021-03-11/une-relance-a-la-mi-juin-pour-transat.php