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L’héritage de Bombardier Avions Commerciaux

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C’est aujourd’hui la dernière journée d’existence de Bombardier Avions Commerciaux. Je profite donc de l’occasion pour faire un bref résumé de son histoire et de sa contribution à l’industrie aérospatiale québécoise.

Les débuts

C’est en 1984 que le gouvernement canadien a mis Canadair en vente. Le gouvernement était à la recherche d’un acheteur capable de relancer cette entreprise et l’industrie aérospatiale. C’est au mois d’août 1986 que Bombardier a fait l’acquisition de Canadair pour la somme de 150 M $. Le gouvernement canadien avait préalablement effacé la dette d’un milliard de dollars de l’avionneur. Le président de Bombardier à l’époque était M. Laurent Beaudoin et il s’était engagé à développer Canadair. Au moment de la prise de contrôle, Canadair comptait environ 4 800 employés. 

À peine 19 mois plus tard, la phase de conception du CRJ était officiellement lancée. Puis le 31 mars 1989, Bombardier autorisait le développement du Regional Jet de 50 passagers. Au moment de cette annonce, le carnet de commandes du CRJ était de 56 appareils. Au total, les gouvernements ont investi 180 M $ dans le programme CRJ et ont touché 225 M $ en royautés.

Le 31 juillet 1992, Transports Canada accordait le certificat de type au Regional Jet de Canadair. Puis Bombardier et Lufthansa CityLine marquent l’histoire avec la livraison du premier CRJ le 19 octobre 1992. Cette journée-là, Bombardier a fait entrer le Québec dans le cercle restreint des États producteurs d’avions de ligne. 

L’expansion

En 1989, Bombardier a fait l’acquisition de l’avionnerie Short Brothers de Belfast en Ireland. Tout comme c’était le cas pour Canadair, Short était un boulet de canon pour le gouvernement qui en était propriétaire. Cette acquisition s’est faite au coût de 60 M $ et Short Brothers avait déjà été choisi pour fabriquer le fuselage du CRJ. 

Puis en 1992, c’est au tour de l’avionneur De Haviland Canada de passer sous le contrôle de Bombardier. Cette transaction coûtera plusieurs centaines de millions de dollars au gouvernement ontarien. Rappelons que De Havilland avait d’abord été acheté par Boeing en 1986 qui l’avait acculé à la faillite.

Pour Bombardier, cette acquisition aura été la moins performante des trois. La faible productivité de l’usine torontoise a toujours été un gros obstacle à sa rentabilité. 

Les années 90 auront été les années d’or pour Bombardier Avions Commerciaux qui livrait de plus en plus d’avions. En 1998, le Q400 effectuait son premier vol et entrait en service en 2000. 

La maturité

Durant les années 2000, le CRJ a atteint sa maturité alors que Bombardier en livrait des centaines par année. À ses débuts, le Q400 se vendait bien et semblait voué à un bel avenir. De 1986 à 2010, la plupart des petits fabricants d’avions ferment laissant seulement deux concurrents à Bombardier : ATR et Embraer.

Afin de continuer à se développer, Bombardier Avions Commerciaux cherche à mettre au point son prochain avion. À la fin des années 90, le projet BRJ-X avait été évalué. Il s’agissait alors d’un avion régional plus gros que le CRJ d’une capacité de 90 à 110 passagers. Mais il fut abandonné car trop semblable au CRJ. 

C’est en 2004, que le projet C Series prend forme pour la première fois. Cet appareil sera beaucoup plus gros que le CRJ avec une capacité de 110 à 150 passagers. Bombardier hésitera quatre ans avant de finalement lancer officiellement le C Series.

Ce projet est de loin le plus ambitieux de l’histoire de Bombardier et de l’industrie aéronautique québécoise. Le C Series vient jouer dans la cour d’Airbus et Boeing et les met sur la défensive. 

Le déclin

Après la crise financière de 2008, Bombardier voit le marché des avions régionaux atteindre une certaine maturité. La demande étant moins forte, la pression concurrentielle devient alors plus intense. Durant la décennie 2010-20, les ventes et les livraisons ralentissent continuellement.

En juillet 2014, Bombardier procède à une réorganisation de sa division aéronautique qui est scindée en trois : Aérostructures, Avions d’Affaires et Avions Commerciaux. Ce changement mettra en lumière la différence de rendement entre les avions d’affaires et les avions commerciaux. Alors que le C Series entrait dans sa phase où il demandait beaucoup de capitaux, le CRJ et le Q400 étaient loin de générer assez de profits pour maintenir la division à flot. On peut affirmer que le sort de la division des avions commerciaux a été scellé au moment de cette réorganisation.

Puis à l’automne 2017, Bombardier crée une onde de choc en cédant le contrôle du C Series à Airbus. Ensuite, c’est la vente du programme Q400 à Longview Aviation Capital à l’automne 2018. Le CRJ sera le dernier programme d’avions à être vendu à MHI en juin 2019

Un résultat très positif

De 1986 à 2017, le nombre d’employés de Bombardier en aéronautique est passé de 4 800 à près de 20 000. Pendant ce temps, le nombre d’emplois dans le secteur aérospatial au Québec a pratiquement doublé pour atteindre 43 000 en 2019. 

C’est durant les années 90 que la grappe aérospatiale montréalaise s’est organisée autour du CRJ. La présence de gros joueurs tel que Thales, Mecachrome, Safran et Latécoère est directement liée à Bombardier Avions commerciaux. Le développement successif de nouveaux avions commerciaux a également permis de développer une expertise dans la certification d’avions. De nos jours, une personne sur 52 travaille dans l’industrie aérospatiale dans la grande région de Montréal. Même un géant comme Mitsubishi n’est toujours pas arrivé à certifier le SpaceJet après 12 ans d’efforts. 

Même les pires détracteurs de Bombardier Avions Commerciaux n’ont jamais été capable de remettre en doute les qualités du C Series/A220. Cet avion est la preuve du génie des gens d’ici et de leur capacité d’accomplir de grandes choses. En fait tous les avions mis au point par Bombardier Avions Commerciaux sont d’excellents avions fiables et sécuritaires. Donc, du point de vue strictement technique, Bombardier Avions commerciaux n’a jamais connu d’échec. 

Canadair, De Havilland et Short Brothers étaient des entreprises non rentables et vouées à la fermeture. Jamais ces trois entreprises n’auraient survécu toutes ces années sans la présence de Bombardier. 

L’avenir

Le courant de pensée qui s’oppose à tout soutien à l’industrie aérospatiale ne date pas d’hier. À la fin des années 50, il a eu raison du projet Avro Arrow. Puis dans les années 70-80, il est venu bien près d’envoyer à la casse le Challenger 601. Là où plusieurs ne voyaient que déficits, problèmes et gaspillage, Airbus, Longview et Mitsubishi y ont vu une opportunité. Au cours des dernières années, les opposants à toutes forme d’intervention de l’État ont focalisé leurs énergies sur Bombardier. Résultat, la compagnie a été forcée de se retirer du secteur des avions commerciaux. 

Le contrôle d’une partie importante de notre industrie aérospatiale est maintenant dans les mains de compagnies étrangères. Cela arrive au moment où l’industrie vit la pire crise de son histoire. Les décisions concernant l’A220 sont maintenant prise à l’extérieur du Québec. Bien qu’Airbus soit une très bonne entreprise, ces décisions seront toujours teintées d’un certain eurocentrisme. Même chose pour le CRJ et la compagnie japonaise Mitsubishi. 

Au cours des six dernières années, j’ai rencontré des milliers de dirigeants et d’employés de l’industrie aérospatiale québécoise. À chaque fois qu’ils me parlaient de leur produit et de leur innovation, une petite flamme brillait dans leurs yeux. La volonté et la capacité des gens d’ici à innover et à toujours vouloir faire mieux est encore bien présente. Aucun courant d’opposition et aucun négativisme ne soufflera jamais assez fort pour éteindre la flamme. 

Je ne sais pas où, quand ni comment l’esprit d’innovation des gens d’ici reprendra la forme d’un nouvel avion. Mais je sais que cela se produira et je serai de ceux qui souffleront sur les braises. 

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22 avis sur “L’héritage de Bombardier Avions Commerciaux

  • François Bouchard

    BRAVO!

    Excellent bilan! C’est un résum très bien fait.

    Merci

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  • Gilbert McCauley

    Excellent sommaire! Dommage que la dernière génération de gestionnaires ne soit pas taillée dans le même bois que nos Ingénieurs et Techniciens!

    Un problème récurrent au Québec semble être notre crainte de réussir. Plusieurs casseront du sucre sur le dos des autres, en particulier, ceux qui ont du succès. Alors, pour donner une perspective plus globale, ne serait-il pas propice de le publier cet excellent sommaire dans au moins un grand média, tel La Presse?

    J’avoue que l’ajout des contributions gouvernementales devraient compléter le tableau, ainsi qu’une mention des niveaux d’assistance similaires prodigués par d’autres nations envers leurs industries aérospatiales.

    Alors, une telle reconnaissance objective de la contribution de notre industrie aéronautique en général, et celle de Bombardier en particulier, mériterait d’être reconnue par nos concitoyens. Il est grand temps de s’affranchir de notre réflexe d’auto-flagellation.

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  • louis martineau

    Rien à ajouter. Tout est bien dit. Merci. Ceux qui préfaire y voir un amalgame entre les salaires payés aux administrateurs et l’avenir de l’industrie aérospatiale d’ici et bien pour moi c’est pathétique cette vue. Ce qui dénote une ignorance crasse sur les milliers d’emplois bien payer que fournie cette industrie au Québec et au Canada. Cette ignorance crasse de certains a faillie mener à la disparition complète du seul avionneur encore québécois entre 2015 et février 2020. Les politiciens version 2020 devront reviser leurs discours sur les aides que les gouvernements doivent fournir parfois « si ces nécessaires » comme le fait tous les pays qui ont une industrie aérospatiale sur leur territoire. Il est plus qu’urgent de développer une acceptabilité social dans la population d’ici pour cette industrie comme c’est le cas aux États-Unis et en France et bien d’autres pays.

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    • Jocelyne Beaulé

      Tout à fait d’accord avec avec vous M. Martineau. Quel dommage cette ignorance crasse et son effet sur l opinion publique en général. Souhaitons que nos gouvernements actuels fassent enfin fi de cette opinion malsaine et concrétisent l importance du secteur aéronautique et sachent soutenir cette industrie unique une fois pour toute. Peu d industries offrent une visibilité mondiale sur l effort et les talents de tous ceux qui y contribuent. Comme le premier vol d un nouvel aéronef et sa diffusion publique… Comparable à ce que l on voit ce weekend avec le programme SpaceX.

      Totalement d accord avec vous aussi M. Allard quant à cette flamme qui a animé et qui anime encore cette fierté qu ont les employés, ex-employés et retraités de Bombardier Aéronautique et j ose dire ce malgré tout. Développer un nouvel avion coûte très cher et nécessite, partout où cette industrie existe dans le monde, un support gouvernemental indéfectible. Ce n est pas différent ici. Va-t-on le comprendre un jour ?

      Demain se tourne une page dans l histoire de notre industrie aérospatiale québécoise et canadienne. Quand je pense à toutes ces compétences, énergies, et fierté déployés par les employé(e)s, contracteurs, fournisseurs sur tous ces programmes c est non sans un pincement au coeur que je vois cette page se tourner. Comme employée de Bombardier Aéronautique de ses débuts en 1986 jusqu en 2019, j ai été témoin et participante à ces efforts déployés sur plusieurs de ces projets. Je puis aussi témoigner de cette fierté visible et sentie lors du premier vol de chacun de ces programmes… Et cette volonté du travail fait dans un objectif d excellence continue… Essentiel dans ce domaine hautement technologique et en constante évolution dans un climat où la sécurité doit toujours primer.

      J ose espérer que nos gouvernements actuels et futurs sauront comprendre l importance de cette industrie unique; résultat de nos talents d ici et qui a besoin d être sécurisée pour pouvoir se repositionner et continuer d évoluer. Donnons donc la chance à nos générations actuelles et futures de pouvoir évoluer dans cette industrie unique et ce sur de nouvelles bases solides et durables.

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    • Stéphane Carrière

      Bien d’accord avec vous.

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    • Tom Laflamme

      M. Martineau,

      Je crois que notre belle industrie aérospatiale est bien mal représenté par le milieu politique, on a présentement un ministre fédéral des transports qui s’occupe plus d’environnement que d’aérospatiale (merci André pour le texte), on n’a personne au provincial pour défendre l’investissement, disons plutôt le sauvetage de Bombardier, et pas de leader présentement pour aider à remettre cette industrie debout pour l’après COVID.

      Ça fait longtemps que je le dit, on doit en faire la promotion, expliquer la valeur de cette industrie pour le Québec, ce que ça rapporte en taxes, impôts, emplois, ce sont aussi des exportations qui ont un effet sur notre PIB.

      Ou est Aéro Montréal? C’est bien de promouvoir notre industrie à l’extérieur mais ça va être dur de continuer si la population ne nous supporte pas davantage, il y a là aussi une occasion pour l’acceptabilité sociale et la promotion.

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    • André Allard

      Merci! Mais tu es meilleurs que moi pour l’écriture et tu devrais t’y mette. 😉

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      • Stéphane Carrière

        Merci et bravo M. Allard pour ce survol historique. Je suis employé chez Bombardier depuis 32 ans. J’ai pour ainsi dire été témoin et participé à ces belles aventures de toutes la gamme des Challenger, CRJ, Global Express, Dash-8, Learjet et CSeries. Les temps sont plutôt gris en ce moment. J’étais au travail aujourd’hui.
        Il y avait une émotion de tristesse parmis les gens qui ont connus l’ascension de Bombardier commercial. Je reste confiant que nous allons bientôt souffler sur les braises, qui peut-être seront celles des avions d’affaires. Merci de partager votre passion.

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  • Robert Labelle

    Excellent texte et synthèse très juste. Peut être ajouter qu’au travers ce développement une des plus grande réussite de Bombardier a été d’ investir dans sa main d’oeuvre, l’engager avec des programmes de motivation tel que  »Batissons notre avenir »,  » L’audace de faire mieux »,  »Nous sommes Bombardier ». Les dirigeants d’antan avait compris que la plus grande richesse d’une société est sa main d’oeuvre …

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  • Pour moi le déclin a été amorcé à la fin des années 90 lorsque la décision de ne pas lancer une nouvelle famille de jets régionaux au profit des CRJ700/900 a été prise, laissant le champs libre à Embraer. Le déclin s’est confirmé après le 11/09/2001. Les cadences de production, surtout sur le CRJ200, ont été drastiquement réduites et ne sont jamais revenu aux mêmes niveaux. Idem pour l’action qui a atteint son sommet à cette époque pour ne jamais remonter.

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    • Le déclin de la branche commerciale a par-contre été partiellement compensé par l’arrivée du Global Express et un peu plus tard par le CL-300.

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    • André Allard

      C’est certain que l’E-175 a fait très mal au CRJ700/900 et que d’avoir eu un avion plus moderne à offrir aurait été un gros avantage. Mais combien aurait coûté le développement de cet avion par rapport aux ventes potentielles? Cela pourrais expliquer la décision de ne pas aller de l’avant avec le BRJ-X

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      • Réponse facile, Bombardier voulais être le premier arrivé, Embraer a pris son temps. Bombardier a livré 850 CRJ700/900/1000 tandis que Embraer a livré plus de 1500 E-jet. De plus, Bombardier n’aurait pas lancé le Cseries s’ils avaient lancé ce nouveau jet.

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      • Tom Laflamme

        Pour ce que j’en sait le BRJ-X n’a pas eu le feu vert de continuer parce qu’il ne rencontrait pas au design les requis d’efficacité demandé par la direction, à l’époque on avait déjà compris que ça prendrait un avion exceptionnel pour aller jouer dans la cours des grands, on croyait que le meilleur produit trouverait sa niche, on a complètement mis de coté tout l’aspect politique.

        C’est cette pensée qui à amené au Cserie, même si l’avion n’a plus le logo de Bombardier on sait que c’est le génie d’ici qui l’a mis au monde.

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  • « Donc, du point de vue strictement technique, Bombardier Avions commerciaux n’a jamais connu d’échec. »

    Il y a de quoi être fier!

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  • J’aimerai savoir où je peux trouver des archives des années 1950 à 1955 car mon père à travailler pour Canadair dans
    Ces années , j’aimerai savoir si il avait des photos et mêmes une listes des hommes qui ont travailler dans ces années.
    Mais une chose que mon père nous a dis que dans ces années la reine Elisabeth étais venu chez Canadair .
    Merci de vote compréhension
    Denise Boudreau

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