Les malheurs de Gulstream feront-ils le bonheur de Bombardier ?
La compétition entre Bombardier et Gulfstream remonte à la fin des années 70. C’est depuis l’arrivée du Challenger 600 que l’avionneur américain utilise les problèmes de Bombardier (Canadair) contre la compagnie montréalaise. Depuis 2016, les vendeurs de Gulfsream ont utilisé l’incertitude financière entourant Bombardier afin d’attirer vers eux ses clients éventuels. En affaires, tous les coups sont permis et le concurrent américain ne s’en est pas privé. Mais se servir des problèmes du concurrent exige que l’on soit en mesure de les éviter. Hélas pour Gulfstream, c’est à son tour d’avoir des problèmes.
Les commandes de vol
Voici ma traduction d’un incident survenu en février dernier : « En février 2020, un avion Gulfstream G500 a subi un atterrissage brutal. L’approche et l’atterrissage ont eu lieu de nuit dans des conditions quelque peu venteuses. Après enquête, Gulfstream a déterminé que d’importants mouvements alternés rapides du manche de commande par le pilote aux commandes ont fait passer le système de commandes de vol (FCS) en mode de limitation de l’angle d’attaque (AOA), ce qui a amené le FCS à commander automatiquement le tangage vers le bas de l’avion pour réduire l’angle d’attaque. L’avion n’était qu’à quelques pieds au-dessus du toucher des roues et au-dessus de la piste lorsque le piqué automatique s’est produit, ce qui a entraîné un taux de descente plus élevé, puis un atterrissage dur. »
Puis un autre incident du genre s’est produit le 4 avril dernier dans des circonstances similaires. Cela a poussé la FAA à émettre une consigne de navigabilité le 9 mai dernier. Celle-ci impose des restrictions de vent pour les atterrissages des G500 et G600 : la limite de vent total est de 15 nœuds (notez qu’il s’agit de la composante totale et non de vents traversiers). La limite de rafale est de 5 nœuds ; interdiction d’atterrir avec des vents de 5 nœuds, rafale à 11 nœuds. Enfin, il faut ajouter 10 nœuds à la vitesse d’approche, ou Vref plus 10. Il y a d’autres limitations que vous pouvez lire à la page 10 du document en cliquant ici.
Ces limitations sont importantes, car de nombreux atterrissages ont lieu dans ces circonstances. De plus, Le G500 et le G600 sont les modèles les plus populaires de Gulstream en ce moment.
Le marketing
Du point de vue de la sécurité aérienne, le problème de commandes de vol du G500 et G600 sont relativement mineur. Mais les commandes de vol sont des systèmes critiques et depuis la crise du MAX, c’est tolérance zéro du côté de la FAA. Je n’ai pas de doute que Gulfstream viendra à bout de ce problème. Je souligne que c’est BAE Systems qui fournit les commandes de vols à Gulfstream. Ce sont les mêmes que celle du Global 7500 de Bombardier.
Mais quand vous vanter votre avion comme étant le meilleur de sa catégorie, il doit l’être et en tout temps. En ce moment, ce n’est certainement pas le cas pour le G500 et le G600 et cela nuit au marketing. L’avionneur et son fournisseur doivent trouver un moyen de régler le problème sans tarder.
La chaîne d’approvisionnement
« Un malheur ne vient jamais seul » selon le dicton. En plus des problèmes de commandes de vol, Gulstream éprouve des difficultés avec certains fournisseurs. Certaines rumeurs ont circulé concernant des problèmes d’approvisionnement du PW814 et PW814. Mais Pratt et Whitney, dément ces rumeurs et affirme qu’elle rencontrera ses objectifs de livraison en 2022. Mais les rumeurs elles circulent et d’autres fournisseurs auraient de la difficulté. Ici, la perception joue souvant un rôle plus important que la réalité.
Il est donc probable que des clients de Gulfstream ne reçoivent pas leur avion cette année.
Le G700
Comme je l’ai mentionné plus haut, la FAA a relevé son attention depuis la crise du MAX. Cela se traduit entre autres par des exigences de certifications plus sévères, surtout pour les commandes de vol. La FAA impose donc à Gulfstream qu’elle revoit la programmation des commandes de vol du G700. Elle exige que chacune des lignes de codes soit revue. Cela demande du temps et la certification du G700 est maintenant repoussée de trois à six mois.
Pendant ce temps chez Bombardier
L’équipe de marketing de Bombardier arrivera à Genève gonflée à bloc. Le salon de l’aviation d’affaires européenne (EBACE) s’y tiendra du 23 au 25 mai prochain. Tous les programmes d’avions vont bien tant du côté technique que celui de la production. La certification du Challenger 3500 se poursuit normalement ; le fabricant peut explique que les commandes de vol mécaniques sont inchangées et que la certification ne pose donc pas problème. Pour ce qui est de la famille Global, les nouveaux clients sont nombreux et la production semble suivre pour le moment.
EBACE 2022, c’est l’occasion de remettre la monnaie de sa pièce à Gulfstream et de lui enlever quelques clients. Surtout que la demande est forte en ce moment et que les créneaux de livraison se font rares. Les clients veulent des avions et la plus vite possible ; lorsque le concurrent a des ennuis, il est nettement plus facile de convaincre un client que l’on est en mesure de respecter les délais.
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À moins que le problème soit plus grave que prévu, ça ne devrait affecter les ventes à court terme. De toute façon les concurrents sont à pleins régimes également et un client qui annulerais sa commande risque d’attendre beaucoup plus longtemps pour avoir son nouveau jouet.
C’est plus une question d’image et de perception. Quand tu dépenses plusieurs dizaines de millions pour un avion, tu t’attends à ce qu’il performe normalement et ce en tout temps. Toi tu connais l’aéronautique et ta perception du problème est nettement différente de celle d’un client potentiel qui n’y connait rien mais qui veut un avion qui fonctionne et tout de suite. Si les concurrents de Gulstream désirent profiter de la situation, ils doivent le faire maintenant au cas où les problèmes perdureraient. Ça joue très dure dans le marketing d’avions d’affaires et toutes les occasions sont bonnes afin de mousser la supériorité de ton produit et c’est au tour de BBD de profiter des malheurs de Gulstream.
Je cite André: « Ça joue très dure dans le marketing d’avions d’affaires et toutes les occasions sont bonnes afin de mousser la supériorité de ton produit et c’est au tour de BBD de profiter des malheurs de Gulstream. »
Il serait en effet très facile pour Bombardier de faire peur à un client de Gulfstream avec ce genre d’histoire en lui disant que le G700 peut crasher si le vent est moindrement élevé. Et bien entendu Gulfstream ferait de même si c’est Bombardier qui avait ce problème.
En passant, est que Les ailes du Québec seront à Genève pour le EBACE?
Très bon article André. À mon avis, ce problème de commandes de vol du G500, G600 (et G700) est plus que mineur. La FAA a d’ailleurs décidé de passer outre la période de commentaires généralement allouée lors de l’introduction de nouvelles règles, car ils considèrent que cette condition peut mener à une perte de contrôle de l’appareil.
Une autre donnée intéressante est que le G650 n’est pas affecté par ce Airworthiness Directive. Il est possible que les lois de contrôle de celui-ci soient différentes, ou que le problème d’instabilité avec pilote dans la boucle soit exacerbé par l’utilisation des sidesticks de BAE sur le G500 et G600 (le G650 étant équipé d’une colonne de direction). Il est aussi à noter que le Global 7500 de Bombardier est equipé d’un sidestick différent venant de la compagnie Parker.
La FAA à Gulfstream dans sa mire. …http://aopa.org/news-and-media/all-news/2022/may/12/hard-landings-prompt-gulfstream-operation-limitations?fbclid=
C’est le même chose dont j’ai parlé précédemment.