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C’est l’heure des décisions pour Boeing

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Alors que la catastrophique année 2019 s’achève pour Boeing, le temps est venu pour sa direction de prendre des décisions. Mais hélas, au cours des 20 dernières années, l’entreprise a pris l’habitude de reporter à plus tard les choix importants pour son avenir.

 

Le remplaçant du B737

Durant la décennie 2000-2010, le remplacement du B737 était un sujet souvent discuté au conseil d’administration de Boeing. Mais le coût de développement a fait craindre le pire et le projet a été repoussé aux calendes Grecques.

 

Cette décision a placé Boeing dans une position difficile lorsqu’Airbus a choisi de remotoriser l’A320 en 2010. Le constructeur américain a alors évalué la possibilité de lancer une nouveau programme d’avion ou de remotoriser le B737. C’est la deuxième option qui a été choisie parce qu’elle était la moins dispendieuse. De plus, comme développer un nouveau programme demande beaucoup plus de temps Boeing craignait de perdre du terrain à Airbus.

 

Boeing a donc opté pour le MAX dont le développement s’est fait rapidement. Hélas, toutes les économies réalisées se sont envolées en fumé avec la crise que vit présentement Boeing avec le MAX.

 

Il est maintenant trop tard pour mettre au point un remplaçant au 737MAX. Selon le président et chef de la direction de SAFRAN, M. Philippe Petitcollin, il est impossible d’offrir plus de 5% d’économies de carburant par rapport aux avions actuellement en fabrication. Le motoriste considère qu’avec d’aussi faibles économies il n’est pas justifié d’investir dans un nouveau programme d’avion.

 

Par son refus d’investir dans un nouveau programme en 2000 et 2010, Boeing s’est peinturée dans le coin. La compagnie est coincée avec le MAX et elle va devoir faire avec pour la prochaine décennie.

 

Les autres problèmes du 737MAX

Dès le début juillet, Boeing avait reçu des indications claires de la part de l’EASA. Cette dernière avait établi une liste de cinq problèmes à résoudre sur le MAX.

 

  1. La difficulté potentielle des pilotes à faire tourner la roulette de compensation manuelle du MAX.
  2. Le manque de fiabilité des capteurs d’angle d’attaque.
  3. Les procédures de formation inadéquates pour les pilotes.
  4. Le problème logiciel concernant le ralentissement d’un microprocesseur (la FAA a récemment identifié ce problème).
  5. L’échec du désengagement du pilote automatique dans certaines situations d’urgence (ce problème est nouveau).

Boeing n’a jamais pris en considération les cinq éléments de l’AESA et n’a travaillé que sur la programmation du MCAS. Depuis, d’autres problèmes se sont ajoutés à cette liste : le glissement du stabilisateur horizontal et les moteurs qui sont trop près des câbles de commandes de vol.

Dès le mois de juillet, il était devenu évident que la programmation du MCAS n’était que la pointe de l’iceberg. Mais la direction de Boeing est victime de la vision en tunnel. La compagnie a rejeté les signaux évidents d’une difficile et longue recertification du MAX.

La meilleure solution pour Boeing, c’est sans doute de prendre le temps de régler tous les problèmes du MAX : revoir de fond en comble le stabilisateur horizontal, changer l’ordinateur de bord et l’équiper d’un système de commandes de vol électrique. Il faudrait au moins deux ans de plus à Boeing pour faire ces modifications. Tout cela sans la moindre garantie que le public acceptera de voyager de nouveau sur cet avion. C’est le passage obligé pour rendre le 737MAX sécuritaire et fiable.

 

Mais le temps presse et Boeing devra changer son fusil d’épaule rapidement avec la recertification du MAX.

 

La production du 737MAX

C’est maintenant officiel, la production du MAX cessera au mois de janvier prochain. Malgré tous ses conséquences négatives, cette décision est la bonne.

 

Le retour en service du MAX n’est pas pour la première moitié de 2020. L’arrêt de production devrait durer un minimum de six mois mais pourrait perdurer jusqu’en 2021. Il y a trop de problèmes à régler sur le 737MAX pour un retour en vol sécuritaire dans quelques mois.

 

De plus, une fois l’interdiction levée, il faudra d’abord remettre en vol les 800 MAX cloués au sol. Cette opération devrait prendre de 6 à 12 mois. La production ne reprendra qu’une fois le processus suffisamment avancé. Il est donc évident que la production du MAX ne reprendra pas avant le troisième trimestre de 2020. Et il s’agit encore une fois du meilleur scénario et c’est 2021 qui est le plus plausible.

 

La troisième tragédie du MAX

En janvier prochaine, des milliers d’employés travaillant pour les fournisseurs de Boeing se retrouveront en chômage technique. Ils devront rapidement se trouver un nouvel emploi car aux États-Unis le filet social est pratiquement inexistant. Heureusement que le taux de chômage est bas en ce moment.

En revanche, les PME qui employaient ces ouvriers spécialisés auront beaucoup de difficultés à embaucher après une longue pose. Il faudra également supporter les inventaires non livrés. Plusieurs entreprises de la chaîne d’approvisionnement du 737MAX seront à risque de faire banqueroute en 2020-21.

Pour l’instant Boeing compte garder au travail ses 12 000 employés qui travaillaient sur le MAX. C’est une excellente nouvelle pour eux, mais il serait surprenant que Boeing les garde plus de deux mois. Au printemps prochain, c’est près de 50 000 personnes qui seront affectés par l’arrêt de production du 737MAX. C’est un bouleversement énorme qui aura des impacts sur l’économie américaine.

Le NMA

Chez Boeing l’acronyme NMA signifie new midmarket aircraft et il désigne à la fois le remplaçant du B757 et du B767. Cela fait maintenant près de quatre ans que Boeing hésite à lancer ce programme d’avion. Pendant ce temps, Airbus a mis au point l’A321LR et XLR et empile les commandes.

Le marché des avions de 200 à 300 passagers n’est pas très gros. Entre 1 500 à 2 000 appareils tout au plus. Les hésitations de Boeing ont permis à Airbus de rafler une partie importante de ce marché. Les compagnies aériennes ne peuvent attendre indéfiniment que Boeing se branche. Pour United Airlines, l’indécision de Boeing a transformé le NMA en never mind aircraft et a plutôt opté pour l’A321XLR.

Boeing doit prendre une décision rapide concernant le NMA, sinon c’est un autre marché qui lui échappera.

Conclusion

Lors des deux premiers écrasements du MAX, le MCAS a entraîné dans le mort 346 personnes. Tout comme pour les vols Lion Air 610 Ethiopian 302, le MCAS fait plonger Boeing. Les signaux d’alarmes sont toujours aussi nombreux, mais la direction continue de focusser sur le MCAS. Tant et aussi longtemps que Boeing refusera de voir plus large que le MCAS, les retards vont s’accumuler. La direction doit prendre acte de la situation et s’atteler à résoudre tous les problèmes du MAX.

Boeing s’est évincée du marché des monocouloirs par elle-même. Les deux gros porteurs B777X et B787 sont ses deux seuls avions en production. Le problème c’est que les gros porteurs représentent maintenant moins de 20% du marché des avions neufs.

La décision de maintenir les dividendes tandis que la production du 737MAX est suspendue nous démontre à quel point les priorités chez Boeing sont centrées sur la satisfaction des actionnaires. Un réalignement des priorités s’impose avant que le géant ne se transforme en nain.

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13 avis sur “C’est l’heure des décisions pour Boeing

  • La décision est de faire faillite et de repartir sous un autre nom … il n’y a pas que le MAX comme problème sérieux en passant.

    Ils ont merder du début à la fin prouvant soit que ce sont des imbéciles (très peu probable) ou qu’ils savaient que l’avion n’était pas certifiable. Je croix encore qu’il y aura un passe droit du genre: cet avion c’est de la merde mais on va t’autoriser à en vendre un certain nombre (1000 -2000) mais modifier sérieusement quitte à les modifier complètement après la mise en service.

    Je ne vois pas 800 avions finir en boîtes de conserve aéronautique.

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  • Dan

    Il ne faut pas réduire Boeing a la production d’avions commerciaux, lorsque vous parlez par exemple des dividendes. Défense, espace, programme des Tankers, etc. Pas encore inquiétant pour la compagnie même si l’impact commence à être assez majeur. on parle de 5-6 milliards d’impact par trimestre, mais Boeing a quand même fait 20 milliards de chiffre d’affaire et ce, en dépit du fait que du point du vu de Boeing l’impact est double car les paiements de 737 ne rentre pas en plus de l’inventaire et le WIP qui ne cesse de s’accumuler.

    Pour ce qui est du problème de “glissement du stabilisateur”… a-t’il été officiellement reconnu par les autorités? Jamais entendu parler de ça en dehors du reportage de l’émission Découverte.

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    • André Allard

      C’est vrai que la portion militaire est très importante pour Boeing, mais la vache à lait c’était le B737.

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  • LADQ: « Boeing doit prendre une décision rapide concernant le NMA, sinon c’est un autre marché qui lui échappera. »

    Le problème du NMA est le même que pour le remplacement du MAX: il n’y a pas de moteurs disponibles qui apporteraient un gain suffisamment important en performance pour justifier une telle dépense, surtout que le prix moyen du pétrole demeure relativement bas.

    Pour Boeing ou bien le prix de vente serait trop bas pour qu’elle puisse faire des profits intéressants, tandis que pour les clients le prix à payer serait trop élevé pour le peu d’économies que le nouvel appareil apporterait.

    Par conséquent les perspectives pour un NMA et/ou le remplacement du MAX ne sont pas très intéressantes pour personne.

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    • André Allard

      Boeing voyons Normand! 🙂 Le B767 utilise toujours les moteurs PW400-94 ou le GE CF6-80C2. Le B767 MAX avec des moteurs plus moderne est certainement une option que Boeing évalue. Ce que toi et moi en pensons, n’aura aucun impact sur la décision de Boeing. Je suis certain qu’ils se disent que de remotoriser c’est tellement plus rentable!

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  • LADQ: « Chez Boeing l’acronyme NMA signifie new midmarket aircraft et il désigne à la fois le remplaçant du B757 et du B767. »

    Le 757 est un monocouloir tandis que le 767 est un bi-couloir. En réalité le 757 est un 737 poussé à son potentiel maximum, tout comme le A321 est un A320 poussé à son potentiel maximum. Tant le 757 que le A321 représentent la limite de ce que l’on peut faire avec un monocouloir.

    Or, c’est précisément dans la catégorie du 757/A321 que se trouve la plage la plus rentable pour les opérateurs alors que celle des bi-couloirs est la plus rentable pour les manufacturiers (mais aussi la plus risquée).

    C’est ce qui explique la grande popularité du A321 et c’est également pourquoi il y a un appel généralisé pour le remplacement du 757. On peut même se demander pourquoi Boeing en a abandonné la production alors qu’il s’agissait d’un modèle de la même catégorie que le 737 mais plus récent. De plus le 757 partageait la même technologie que le 767 alors que le 737 partage encore aujourd’hui la même technologie que le 707!

    On voit bien que Boeing n’a jamais eu de stratégie cohérente de développement. Cela s’explique par le fait qu’à l’époque Boeing dominait complètement le marché de l’aviation civile avec plus de 80% du marché à elle seule. Il n’y avait donc aucune pression sur Boeing et cela lui aura permis de se reposer sur ses lauriers, laissant le champ libre à Airbus que les Américains, incluant McDonnell-Douglas, regardaient alors de haut.

    Boeing a cependant eu maintes opportunités de revoir sa stratégie mais elle n’a pas su le faire de façon adéquate car trop obnubilée par la valeur de ses actions en bourse. Même aujourd’hui ses efforts de rattrapage restent mitigés et ce pour les même raisons. Il faudrait donc donner un gros coup de bar mais cela ne se fera que lorsque l’action aura perdu tellement de valeur que toute mesure de redressement sera bien accueillie par les actionnaires.

    Dans l’état actuel des choses Boeing ne peut pas entreprendre le développement simultané du NMA et du FSA (Future Small Airplane). Un choix devra donc être fait, et ce le plus rapidement possible. Mais ce choix est facile à faire car le NMA n’a pas, n’a jamais eu et n’aura jamais d’avenir, pour la simple raison qu’il s’agit d’un bi-couloir qui se situe dans un plage non optimale pour sa grosseur.

    S’il y a un vide entre le A321 et le A330, ou entre le 737 et le 787, ce n’est pas pour rien. C’est que ce petit segment est à la fois trop gros pour un monocouloir et trop petit pour un bi-couloir. Essayer de combler le vide laissé par ce segment est donc une utopie.

    Par contre le marché du monocouloir est aujourd’hui plus important que jamais car il y a plein de nouvelles compagnies aériennes en développement sur la planète et celles-ci doivent nécessairement commencer avec de plus petits appareils comme le A220, A320 et A321. C’est là que Boeing aurait dû concentrer ses efforts.

    Il n’est peut-être pas trop tard pour Boeing mais elle devra cependant faire les sacrifices qui s’imposent afin de regagner ses parts du marché ainsi que la confiance du public.

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    • André Allard

      Si le FSA est l’avenir pour Boeing, il faut trouver une technologie de rupture capable d’ajouter de la valeur au programme. Deux possibilités seraient l’open rotor et SAFRAN est très avancée dans ce domaine. Sinon la NASA a étudié le BLI qui est le Bunderry layer injection.

      Personnellement je crois que le BLI serait la solution pour Boeing car il s’agit essentiellement de bien étudier l’aérodynamique et ca la NASA a toutes les ressources humaines et techniques pour le faire. De plus le gouvernement américain pourrait subventionner la recherche à ce sujet sans subventionner directement Boeing et ses actionnaires.

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      • Il faut se rappeler que Bombardier a lancé le CSeries en 2008 deux ans après l’arrivée du GTF de Pratt & Witney sur le marché. Cela a permis à Bombardier de concevoir le CSeries autour de ce nouveau moteur dont les futurs performances commençaient à être bien connues.

        Ce pourrait être la même chose pour le FSA. Cependant le temps presse pour Boeing et elle ne peut se permettre d’attendre que le développement de ces nouveaux types de moteur arrivent à maturité car il s’agit de technologies très difficiles à mettre au point. Il pourrait donc s’écouler plusieurs années avant qu’un projet intéressant soit concrètement proposé aux avionneurs.

        Rolls-Royce aurait certes pu marquer un grand coup avec son UltraFan (une sorte de super GTF) qui est déjà très avancé, et beaucoup plus simple à mettre au point, mais elle n’a pas les moyens financiers présentement de développer une version pour ce segment de marché dont le potentiel reste quand même assez limité.

        Pour ce qui est de la structure de l’avion les gains que pourraient apporter l’utilisation de matériaux légers ne seraient sans doute pas suffisants pour annuler le désavantage d’un bi-couloir dont les dimensions ne seraient pas optimales pour cette catégorie. Bref, les avantages promis ne seraient pas très significatifs et ne justifieraient pas aux yeux des compagnies aériennes un coût d’acquisition nécessairement plus élevé.

        Comme le temps presse Boeing devra donc se résigner à faire ce qu’elle aurait dû faire dès 2011, c’est à dire développer un nouvel avion en faisant appel aux mêmes technologies que celles employées sur le CSeries et le même type de moteur également. Cependant dans l’interval Airbus aura inévitablement pris le contrôle du marché et sera alors en mesure de dicter le prix de vente du FSA de Boeing, comme A+B l’ont fait pour le CSeries.

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        • André Allard

          Le prix de vente est le plus gros obstacle pour que Boeing lance le FSA, c’est évident que dans 5 ans Airbus pourras offrir l’A220-500 à prix très compétitif.

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    • André Allard

      Voilà que Spirit met à pied des milliers de personnes juste avant Noël.

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