Le Challenger 600 a 45 ans
En ce matin du 8 novembre 1978, le pilote d’essai en chef de Canadair, M. Doug Atkins, mène le Challenger 600 vers le bout de la piste pour son premier vol. Il fait à peine 2º Celsius, les vents sont calmes et la visibilité est de près de 20 km ; c’est une météo idéale pour un premier vol. À l’extérieure des ateliers de Canadair, c’est dans une atmosphère fébrile et enthousiasme que les employés se massent pour assister au décollage. Cela faisait longtemps que l’ambiance n’avait pas été aussi bonne chez l’avionneur.
La renaissance de Canadair
De sa création 1944 jusqu’à la fin des années 60, Canadair dépendait presque exclusivement du secteur de la défense. Mais les importantes coupures des gouvernements dans les budgets militaires ont eu un impact dévastateur sur les finances de l’avionneur montréalais. Bien que le CL-215 était un succès du point de vue technologique, le fabricant ne pouvait espérer vendre plus de 5 exemplaires par année de cet avion de niche.
Lors de la première tranche des années 70, la situation financière de Canadair se détériore. Les dirigeants de l’entreprise tentent de convaincre la compagnie mère, General Dynamics, de financer le développement d’un nouvel avion d’affaires. Mais celle-ci ne veut rien entendre. Puis en 1976, le ministre de l’Économie du Canada, M. Jean Chrétien, convainc ses collègues ministres de l’Importance stratégique du fabricant pour l’industrie aéronautique. C’est ainsi que le gouvernement canadien fit l’acquisition de Canadair des mains de General Dynamics pour la somme de 75 M$. Par la suite, M. Chrétien se laisse emporter par les caractéristiques révolutionnaires du Challenger. Dans son enthousiasme, il accorde le financement de 130 M$ pour son développement sans l’approbation du conseil des ministres. Ces derniers furent placés devant un fait accompli.
C’est donc en octobre 1976 que le développement du Challenger 600 est officiellement lancé. Cette étape constitue la renaissance du fabricant qui pour la première fois se lance dans le développement d’un avion civil à fort potentiel de vente.
Une promesse qui prend forme
En 1976, Canadair ne comptait plus que 1 500 employés, en ce matin de novembre, ils sont près de 4 000 à mettre tous leurs espoirs sur le Challenger. Le simple fait qu’un avion aussi révolutionnaire soit déjà prêt à voler deux ans après son lancement est un exploit en soi. C’est le premier avion d’affaires à être muni d’ailes supercritiques, à avoir un fuselage permettant de se tenir debout avec une avionique de pointe. Il promet à ses acheteurs de pouvoir voler plus vite, plus haut, plus loin et avec confort inégalé par rapport aux autres avions d’affaires. D’ailleurs ils ont été nombreux à y croire puisque l’équipe des ventes a réussi à décrocher plus de 130 commandes avant ce premier vol.
Au moment où il pousse les manettes des gaz pour le décollage, Doug Atkins est conscient du regard de ses milliers de collègues et du fardeau énorme que porte Challenger. Mais quelques instants plus tard, à 9 h 26 le train d’atterrissage quitte le sol sans difficulté et l’avion monte dans le ciel. Pour les clients, les promesses se concrétisent. Pour tous les employés qui sont restés au sol, c’est le rêve et l’espoir de jours meilleurs qui prend forme. Le vol dur 50 minutes et il se déroule tellement bien qu’un deuxième de 45 minutes a lieu au cours de l’après-midi.
Un accident tragique
Le 3 avril 1980. Le commandant Eric Norman Ronaasen, le copilote David Collings et l’ingénieur de vol Bill Scott prennent place à bord du Challenger pour un vol d’essai de routine. Après avoir complété leur programme régulier, ils décident d’effectuer des manœuvres supplémentaires. Leur but est d’identifier la source d’un bruit inhabituel entendu lors des vols précédents. Lors d’une manœuvre, l’angle d’attaque est augmenté au-delà de la limite de 34º. L’avion décroche entre en vrille et l’équipage perd le contrôle. Le parachute servant à stabiliser l’avion est activé, mais ne se déploie pas. Les trois membres d’équipage sautent en parachute. Mais hélas, celui du commandant Ronaasen ne s’ouvre pas et il est tué.
Un changement bénéfique
Malgré ce tragique accident, le Challenger obtient sa certification quelques mois plus tard. Tous les nouveaux programmes d’avions connaissent des difficultés lors des premières années et le Challenger 600 n’y échappe pas. Son plus gros handicap est le manque de fiabilité chronique du moteur Lycoming ALF 502 L. Mais Canadair avait consenti l’exclusivité à Lycoming sur le Challenger.
Pour contourner ce problème, le fabricant décide de lancer l’étude pour développer le Challenger 610. Cette nouvelle version avait un fuselage allongé et pouvait transporter le double de passagers. Mais surtout, son poids était trop élevé pour l’ALF-502L. Le motoriste est donc forcé de renoncer à sa clause d’exclusivité. L’avionneur approche alors GE afin d’équiper le 610 avec le moteur CF34 1A. Par la suite, Canadair met un terme au développement du Challenger 610, car elle manque de fond. Mais elle adapte le CF-34 1A sur le challenger 601 qui sera livré à partir de 1982.
Équipé du CF-34, le Challenger se transforme en un pur-sang qui n’accepte rien d’autre que d’être le premier. Au cours des années 80 et 90. Le Challenger est le meilleur avion de sa catégorie, un point c’est tout. Il établit de nouvelles normes et devient la référence dans l’aviation d’affaires. Au cours des années 90, posséder un Challenger 601, c’est le summum.
La vente de Canadair
Si Canadair a mis au point un avion exceptionnel, on ne peut pas en dire autant de sa gestion financière. Au moment de sa mise en vente en 1985 par le Gouvernement Mulroney, l’entreprise cumule une dette d’un milliard de dollars. À cette époque, c’est le plus gros déficit jamais enregistré par une société d’État.
Le président de Bombardier, M. Laurent Beaudoin, avait suivi le développement du Challenger avec intérêt. Mais la dette de 1 G$ le rebutait et il considérait que Bombardier n’avait pas les moyens d’acheter Canadair. En plus, sa priorité à l’époque était le développement la division de matériel de transport. À l’automne 1985, il avait débuté les négociations avec le premier ministre ontarien David Peterson dans le but d’acquérir le fabricant UTDC. C’était un projet complexe qui lui demandait beaucoup de temps.
Toutefois, en novembre 85, il reçoit deux diplômés de Harvard qui lui présente leur thèse portant sur l’achat de Canadair. Ils expliquent alors à M. Beaudoin que le gouvernement canadien devra essuyer la dette de l’avionneur s’il souhaite s’en départir. C’est finalement suite à l’échec des négociations avec le gouvernement ontarien que M. Beaudoin aborde le dossier Canadair en février 1986. Il contacte alors M. Bernard Roy qui est le chef de cabinet du premier ministre du Canada Brian Mulroney. Il l’informe alors de son intérêt pour Canadair et s’enquiert du processus en cours et de la marche à suivre.
Au printemps, il présente son offre au comité de sélection, il explique alors sa vision pour le futur de l’avionneur qui en est une de croissance. Il n’y avait qu’un seul autre acheteur ayant présenté une offre, c’était un consortium former par Dormier et Webster. C’est Bombardier qui avait la meilleure offre et qui l’emporta.
Bombardier prend les commandes
À ce stade-ci de l’histoire, il serait tentant de dire : « ils se marièrent, eurent plusieurs enfants et vécurent longtemps ». Mais en réalité c’est un peu plus complexe.
Il faut dire que l’arrivée de Bobardier s’est faite avec quelques grincements de dents chez les gens de Canadair. En effet, il était impératif de mettre en place des mesures plus strictes afin de mieux contrôler les coûts. Heureusement, celles-ci ont donné des résultats et au bout de quelques années, le Challenger 601 était également devenu une véritable planche à billets de banque. Les profits qu’il générait ont permis de financer la mise au point du CRJ ainsi que le Global Express. Après une dizaine d’années, le mariage entre les deux entreprises était devenu solide.
Bombardier a donc permis de stabiliser et sécuriser les finances de l’avionneur et par conséquent d’assurer l’avenir du Challenger. Ha oui ! J’ai oublié de vous dire ! Les deux diplômés d’Harvard avaient raison : le gouvernement canadien avait effacé l’ardoise de Canadair au moment de la transaction.
C’est en 1995 que le Challenger 604 prend la place du 601, il avait un plus grand réservoir de carburant et une nouvelle suite avionique. Puis ce sera au tour du 605 de prendre la place en 2005, qui lui cédera le pas au 650 en 2015.
Éloge d’un champion
Bien que. son nom qui fait référence à un aspirant, c’est en tant que champion que le Challenger a passé une plus longue partie de sa carrière commerciale. Dans le sport, la présence d’un athlète de grand talent, a tendance à tirer toute l’équipe vers le haut. C’est également ce qu’a fait le Challenger alors qu’il a entraîné dans son sillage toute l’industrie aérospatiale montréalaise. Il a également fourni les gènes du CRJ. Sans lui, Montréal n’abriterait pas la troisième plus grande grappe aérospatiale après Seattle et Toulouse. Il a rempli les promesses faites aux acheteurs et surtout permis à des milliers de travailleurs d’y œuvrer jusqu’à leur retraite.
45 ans après ce premier vol, il est toujours en production et la série Challenger 600 est la plateforme d’affaire la plus livrée avec un total de 1130. Le plus vieil appareil encore en service a été fabriqué en 1981 et environ 1000 volent toujours. Les challenger totalisent 6,1 millions d’heures de vol et 3,4 millions d’atterrissages. C’est en 1988 que le gouvernement du Québec a mis en service son premier Challenger converti en avion-ambulance. Plus de 15 pays ont acheté des Challenger de la série 600 pour diverses missions spécialisées. D’ailleurs, cette plateforme compte plus de conversions en avion spécialisé que tous ses concurrents directs réunis.
Le 8 novembre 1978, c’est beaucoup plus qu’un avion qui a pris son envol. Cette date marque le début d’une grande aventure qui est allé beaucoup plus loin que ce que les concepteurs du Challenger 600 avaient imaginé. Il en est ainsi avec les champions, ils vont toujours plus haut que les autres et ils ont le don de dépasser d’inatteignables sommets.
À regarder
En cliquant sur l’image si dessous, vous pourrez regarder le documentaire de l’ONF réalisé en 1980 par Stephen Low : « Le Challenger, un défi industriel. » J’ai les droits pour le Canada et les résidents à l’extérieur du pays n’ont pas accès à la vidéo.
À lire
Afin de connaître l’histoire complète du développement du Challenger 600 je vous invite à lire le livre de Stuart Logie intitulé « Winging It: The Making of the Canadian Challenger ». Ce livre couvre en détail la période 1975-85 et tous les obstacles qui se sont dressés sur le chemin du Challenger.
Quelques photos
Un gros merci à Pierre Gillard, qui est le directeur général du Musée de l’aérospatiale du Québec, pour les photos sauf celle qui est à l’entête.
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Un historique du Challenger très et très réussi. Félicitation à André Allard.
Merci!
N’eut-été de Jean Chrétien il n’y aurait jamais eu de Challenger. Et sans Challenger il n’y aurait jamais eu de Global ni de CRJ. Et sans le CRJ il n’y aurait jamais eu de CSeries. Ce que peu de gens savent c’est que c’est Jean Chrétien, alors qu’il était président du Conseil du Trésor du Canada, qui a approuvé secrètement, c’est à dire sans l’approbation formelle du conseil des ministres, le développement du programme Challenger. Et n’eut été de la notoriété de Bill Lear, le fondateur de la compagnie Learjet qui porte encore aujourd’hui son nom, Canadair n’aurait jamais eu la crédibilité nécessaire pour pouvoir se lancer dans une telle entreprise. Car il faut rendre à César ce qui appartient à César.
Wow, j’y étais en 1978, à la sortie d’usine… et au premier vol, beaux souvenir, merci ! faut pas oublier la passe du CL-41 à l’aterrissage du premier vol du Challenger, il avait surpris tout le monde en passant au dessus du plan 1 vers l’ouest !
Le CL-41 en question (avion d’escorte de Canadair) a même fait un barrel roll dans l’axe de la piste après l’atterrissage du Challenger. C’était une façon spectaculaire de marquer l’évènement.
Mars 1978 début de ma carrière pour terminer en janvier 2009.
Ce fut des moments merveilleux comme très stressant avec plusieurs mises à pieds
Bravo pour cette entreprise
André Allard/Normand Hamel. ….Il serait assez ironique d’entendre les ex-premier ministres Jean Chrétien et Brian Mulroney donner leurs appuis au pdg de Bombardier, pour forcer le gouvernement fédéral a lancer un appel d’offres. Comme il y a bien années ils ont donner leurs appuis politiques et monétaires pour sécuriser via Canadair le secteur aéronautique au Québec. En espérant que les journalistes vont tenter d’avoir leurs avis sur le sujet et les deux grands syndicats Unifor et Aimta vont faire signé une pétition pamis leurs membres travaillant chez Bombardier inc pour augmenter la pression politique.
J’ai travaillé chez Canadair/Bombardier de 1978 à 2011. Je me souviens bien de cette journée du premier vol et de la fierté qui nous habitait. C’est fascinant de voir l’influence de cet avion sur le monde de l’aviation et sur le Québec en particulier. Oui on peut critiquer certaines décisions et façons de faire de la compagnie mais du Challenger jusqu’à la CSeries, nous avons participé à l’essor de l’aviation au Québec. Merci Monsieur Chrétien pour ce bel héritage.
Merci André de nous avoir rappelé le lancement du challenger 600, j’ai revu le documentaire de l’ONF, certains députés du fédéral devrait le regarder et avoir le courage de Jean Chrétien de se prononcer pour donner le mandat a Bombardier de soumissionner. Comment le temps a changé depuis l’époque tout se passait en anglais dans les réunions, pas de epi pour les employés qui travaillait et les cendriers sur les tables de réunion.