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2019 marque la fin du duopole Airbus-Boeing

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Voilà près de 20 ans maintenant que le duopole Airbus-Boeing se partage la presque totalité du marché des avions de ligne. Mais une tendance favorable à Airbus s’est installée discrètement au cours des dernières années. Dans ce texte, nous allons examiner comment la saga du MAX va accélérer cette tendance et mettre un terme au duopole Airbus-Boeing.

 

La bataille des commandes

Au cours des dernières années, nous avons assisté à une course folle à l’intérieur du duopole Airbus-Boeing. L’objectif étant de réussir à s’imposer comme premier fabricant mondial d’avions de ligne. Pour y arriver les deux protagonistes se sont également livrés une guerre de prix sans merci. 

De 2010 à 2015, les baisses de prix ont eu un impact important sur les ventes d’avions. Sur cette courte période de six ans, le duopole Airbus-Boeing a engrangé près de 14 100 commandes fermes. L’A320neo et le 737 MAX promettaient des économies de carburant de 20% alors que le prix du pétrole était très élevé. À cette époque, les deux géants offraient leurs nouveaux avions monocouloirs à des prix très compétitifs. Les compagnies aériennes ont tout simplement succombé aux offres alléchantes des deux fabricants d’avions.

Nous avons compilé (ici) les données* disponibles à propos des commandes et livraisons du duopole Airbus-Boeing pour la période 2000 à 2019. Nous vous les présentons sur les deux graphiques suivants :

2019 marque la fin du duopole Airbus-Boeing
Commandes Airbus-Boeing 2000-2019
2019 marque la fin du duopole Airbus-Boeing
Livraisons Airbus-Boeing 2000-2019

Le graphique des commandes indique clairement une pointe dans les commandes pour la période 2010-2015. C’est à partir de 2010 également qu’Airbus a commencé à avoir le meilleur sur Boeing au chapitres des commandes. Mais lorsque l’on regarde les livraisons, on se rend compte que la lutte est beaucoup plus serrée. 

Nous avons ensuite résumé les informations importantes sur trois tableaux que voici :

2019 marque la fin du duopole Airbus-Boeing
Commandes et livraisons de 2000 à 20019
2019 marque la fin du duopole Airbus-Boeing
Commandes et livraisons de 2011 à 2019
2019 marque la fin du duopole Airbus-Boeing
Carnet de commandes

Les chiffres parlent d’eux-mêmes alors qu’en 2019 Airbus détient 58% des commandes qui ne sont pas encore livrées. 

 

Les livraisons de MAX en 2020

Sur les deux graphiques précédents, 2019 marque une cassure bien visible. À notre avis, le faible niveau de commandes et livraisons de Boeing se maintiendra en 2020 et 2021. Il est encore très difficile de prédire comment Boeing se sortira de cette crise au-delà de 2021. Mais pour les deux prochaines années, les scénarios possibles se précisent. 

Il est maintenant acquis que le MAX ne reviendra pas en service avant la mi-février 2020. La moindre peccadille retardera encore avantage son retour en service. American Airlines a déjà repoussé la reprise des vols de MAX au 7 avril prochain. On peut raisonnablement s’attendre à ce qu’Air Canada, Delta Airlines et United Airlines fassent la même chose dans les prochains jours. Mais n’oubliez pas que ce scénario demeure le plus optimiste.

Tenant compte des obstacles à franchir, le retour en service du MAX serait au plus tôt pour la deuxième moitié de 2020. Mais d’autres délais pourraient s’ajouter. La nouvelle programmation de l’ordinateur de vol, particulièrement celle qui concerne le MCAS, pourrait causer de mauvaises surprises. 

 La FAA a récemment retiré à Boeing le privilège d’émettre le certificat de navigabilité des MAX déjà produits et prêts à être livrés. C’est donc la FAA elle-même qui dorénavant procédera à l’inspection finale de chacun des appareils avant la livraison à un client.

Boeing utilise une armée d’ingénieurs afin de déterminer la navigabilité des aéronefs avant livraison. Par contre la FAA ne dispose que d’une poignée d’ingénieurs et de techniciens pour faire le même travail. La FAA a beau dire qu’elle ne ralentira pas la livraison, personne ne la croit. Remarquez que ce serait une excellente tactique si la FAA voulait obtenir plus de budget pour engager davantage de personnel. 

L’arrêt de la production du MAX

Boeing prévoyait faire passer la cadence de production du MAX de 52 à 57 appareils par mois à l’été 2019. Mais en avril elle a plutôt annoncé une réduction de la cadence à 42 par mois. La compagnie comptait alors retourner à 52 par mois dès la levée de l’interdiction de vol puis passer à 57 dans les mois suivant. Mais la semaine dernière, Boeing a confirmé que la cadence de production de 57 mois serait reportée à 2021. 

Boeing a finalement annoncé l’arrêt de production du MAX au début de janvier

Ce qu’il y a de particulièrement ahurissant dans la tournure des événements, c’est que Boeing avait demandé à ses fournisseurs de maintenir une cadence de 52 unités par mois. Or, le plus gros fournisseur du MAX, Spirit Aerosystem se retrouve présentement avec 90 fuselages non livrés en entreposage. Ce qui fait que la compagnie doit maintenant payer trois jours de vacances  supplémentaires à ses employés pour la période des Fêtes. Le surplus d’inventaire expliquant ce congé prolongé. Avec l’arrêt de production, les employés de Spirit vont se retrouver en chômage technique en janvier.

Spirit doit entrepose 90 fuselage de 737MAX
Fuselages de 737MAX entreposés à Wichita

Pour sa part, le motoriste CFM doit avoir présentement un inventaire d’environ 180 moteurs prêts à être livrés. Les fournisseurs du MAX et leurs employés semblent donc être les grands oubliés de cette crise.

Comme on peut le constater, la décision de Boeing de maintenir la cadence à 52 unités par mois chez les fournisseurs a de graves conséquences. Il y a maintenant un inventaire de 200 737 MAX en pièces détachées entreposés au frais des fournisseurs. Pour les pièces et systèmes déjà produits, il faut payer les employés et les fournisseurs de troisième et quatrième niveaux. 

L’annonce d’un ralentissement important ou de l’arrêt complet de la production du MAX aura des répercussions financières importantes. Retarder la décision ne fait qu’aggraver la situation.

 

 Le carnet de commandes du MAX

Le carnet de commandes du MAX s’élève aujourd’hui à 4 405 unités et Boeing aime bien le rappeler aux analystes financiers. Mais il faut être bien naïf pour croire que la compagnie de Chicago va livrer la totalité de ces commande). 

Par exemple, la compagnie aérienne Jet Airways compte à elle seule 217 MAX en commande. Mais ce transporteur a cessé ses opérations le 17 avril dernier alors que le MAX était déjà cloué au sol. Boeing se retrouve donc avec des MAX aux couleurs de Jet Airways qui ne seront donc pas livrés. Puis il y a Norwegian qui éprouve de sérieuses difficultés financières et qui a 100 737 MAX en commande. Même si la compagnie survivait jusqu’au retour en vol du MAX, il est loin d’être acquis qu’elle sera alors en mesure d’accepter les livraisons.

2019 marquera la fin du duopole Airbus-Boeing
Jet Airways B737MAX 8 cloué au sol

Viennent ensuite les compagnies de crédit-bail qui n’avaient pas réussi à placer certains de leurs appareils avant l’interdiction de vol. Avant le début de la crise ce nombre était d’ailleurs plus élevé que la normale. Les appareils produits durant l’arrêt des livraisons pourraient s’avérer très difficiles à placer. Pour décrocher ses dernières commandes de MAX, Boeing a été obligée de consentir de très gros escomptes. Or, le prix que les compagnies aériennes sont prêtes aujourd’hui à payer pour un MAX a diminué considérablement. Les locateurs se retrouveront ainsi avec un loyer qui ne couvrira pas pas le coût d’acquisition. À cela il faut ajouter la baisse de la valeur résiduelle du MAX qui augmentera encore plus les charges. 

Plusieurs compagnies de crédit-bail sont donc à risque de déclarer faillite au cours des deux prochaines années. Et les commandes de ces compagnies seront perdues à jamais. 

 

 

L’acceptation populaire

L’histoire de l’aviation civile compte plusieurs épisodes sombres mais rien ne se compare avec celle du MAX. Le nombre d’appareils cloués au sol et la durée de l’interdiction demeurent inégalés. Mais le plus dommageable, c’est le nombre et la fréquence des révélations, toutes plus troublantes les unes que les autres.

Voilà maintenant près de 10 mois que le nom de Boeing est régulièrement trainé dans la boue. Boeing aura beau faire toutes les déclarations et les démonstrations qu’elle souhaite sur la sécurité du MAX. Plus personne ne la croit, la crédibilité de cette entreprise est aujourd’hui à son plus bas.

L’épisode le plus semblable au MAX, c’est celui du DC-10 de McDonnell-Douglas en mai 1979. Le DC-10 avait été interdit de vol pendant 49 jours suite à un écrasement à Chicago qui avait fait 271 victimes. La compagnie aérienne en cause à cette époque était American Airlines. Le premier DC-10 qui a décollé de Chicago après la levée de l’interdiction n’avait qu’une centaine de passagers à son bord. Pour les attirer, United Airlines avait alors offert ses billets à prix très réduit(s). 

Six mois après la levée de l’interdiction de vol, le taux d’occupation à bord des DC-10 était revenu à la normale. Cependant, toutes les compagnies aériennes avaient été obligées de réduire considérablement le prix des billets sur le DC-10. L’avion volait certes, mais il était nettement déficitaire pour les compagnies aériennes. Au cours des années suivantes, le DC-10 a été retiré du service progressivement par les compagnies aériennes. 

La Chine

La Chine est un des marchés émergeants connaissant présentement la plus forte croissance dans l’aviation civile. Ce marché représente maintenant près de 10% de la demande mondiale d’avions de ligne et cette proportion devrait doubler d’ici 2030. Mais le marché chinois est très atypique, toutes les commandes d’avions devant être approuvées par le gouvernement. Et ce dernier s’attend à ce que les grandes compagnies occidentales investissent et fassent du transfert technologique en Chine. 

C’est pour cette raison qu’Airbus a installé une ligne d’assemblage d’A320 à Tianjin en 2008. Airbus vient d’ailleurs d’annoncer une augmentation de la production qui passera de 4 à 6 avions par mois.

Pour sa part, Boeing n’a ouvert qu’un centre de finition intérieure pour le MAX. En 2016 et 2017, les commandes provenant de la Chine avaient chuté de 70% pour Boeing. Depuis le début de 2018, Boeing n’a reçu aucune commande ferme de la Chine. L’actuelle guerre commerciale entre la Chine et les États-Unis ne fait d’ailleurs rien pour régler cette question, le gouvernement américain refusant toujours de céder sur la question des investissements et des transferts technologiques.

2019 marquera la fin du duopole Airbus-Boeing
B737MAX China Southern

L’absence de commandes chinoises oblige Boeing à réduire la production du B787 de 14 à 12 appareils par mois. Ce ralentissement sera effectif au quatrième trimestre de 2020. À moins d’un changement de cap majeur de la part de l’avionneur américain, le marché chinois lui est dorénavant fermé. Les révélations des 10 derniers mois ne font que renforcer la détermination du gouvernement chinois dans sa décision. La Chine pourrait ainsi contribuer à rompre l’équilibre du duopole Airbus-Boeing. 

 

La fin du duopole Airbus-Boeing

Il est utopique de croire qu’un jour la production du MAX reviendra à 52 appareils par mois. De plus, le retour en service du MAX sera vraisemblablement le dernier tour de piste du B737. 

Le duopole Airbus-Boeing a jusqu’à maintenant joué un rôle déterminant dans le développement de l’aviation civile. Mais nous assistons aujourd’hui à un changement de paradigme, car Airbus prendra bientôt le contrôle du marché des monocouloirs. Ce marché représente plus de 80% des ventes pour Airbus et Boeing.

Parce que l’A320 est plus jeune, qu’il contient des technologie plus récentes et qu’il en est à sa première itération, il a passé plus facilement au travers de la dernière re-motorisation. En ajoutant l’A321LR et XLR, airbus a réussi à prendre le dessus sur Boeing qui n’a rien à offrir. Une fois la tendance établie, il restait à Airbus à prendre le dessus en livrant plus d’appareils que Boeing. L’interdiction de vol du 737MAX est l’événement qui lui permet de concrétiser son monopole. Boeing mettra au moins cinq années avant de commencer à reprendre une partie du terrain perdu aux mains d’Airbus. 

Le duopole Airbus-Boeing étant maintenant chose du passé, les intervenants des industries aéronautiques et du transport aérien devront dorénavant changer leurs grilles d’analyse. Le temps est venu d’accepter le changement de paradigme et de s’y adapter.

Le prochain texte à ce sujet s’intitulera: Boeing à l’heure des décisions

*Nous avons utilisé Decision Analytics d’Airinsight Data Service comme principale base de données

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11 avis sur “2019 marque la fin du duopole Airbus-Boeing

    • André Allard

      J’attend que ce soit officiel avant de publier à nouveau, ce soir ou demain matin

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      • Léandro

        Très bon article. Je dévore tous les articles sur boeing depuis plus de 15 jours.

        Comment airbus, nouveau venu, a pu en moins de 40 ans devenir l’égal de Boeing, et de bientôt, devenir le number one pour les prochaines 10 années à venir.

        L’erreur colossale a été de ne pas répondre à l’arrivée de l’a320. Le 737 était déjà un avion obsolète, mais BOIENG a préféré généré du cash, en raison des actionnaires et de wall street, au lieu de tuer le nouveau concurrent dans l’oeuf.

        Boeing aurait du réagir et anticiper le succès de l’a320 par un nouvel appareil et encore plus, lorsque airbus a imaginé A380. Cet appareil est un échec comercial, mais en terme d’image, de succès technologique, il est une brillante réussite. Airbus en a tiré un énorme savoir faire.

        BOEING a engrangé des milliards de bénéfice, en dormant sur ses lauriers, avec la même obsession, toujours plus de cash pour les actionnaires.
        2018, 10 milliards de benef contre la moitié pour airbus, avec un partage du marché de 50/50 pour simplifier.

        On comprend mieux que la machine à cash visait à une obsession à réduire les coûts au détriment de l’innovation, et de fabriquer un appareil garantissant la qualité du produit.

        Résultat, lorsque A320 neo surgit sur le marché, c’est la panique chez boeing qui n’a toujours pas imaginé un nouvel avion pour remplacer le 737 obsolète. D’où le bricolage, avec le 737 max, non adapté pour recevoir des réacteurs plus gros. La suite, vous la connaissez.

        Mais le pire est à venir, car mine de rien, a330neo est entrain de réiterer le coup et concurrencé sérieusement le dreamliner , et l’a321 est seul pour le remplacement de la flotte immense de B767. L’350 va concurrencer le dernier projet de Boieng, le 777X.

        Enfin, Airbus a décidé créer de une nouvelle usine de production à TOULOUSE pour satisfaire à la demande, pour produire plus d’a321 et de a320 tandis que les MAX est toujours cloué au sol, avec un compteur de perte d’un milliard par mois.

        BOEING n’a plus la capacité d’investir sur plusieurs projets d’avion pour contrer airbus sur chaque catégorie.

        Sans développer le sujet, je souhaite juste faire une observation sur RYANAIR, qui a tout misé sur le 737. Cette société a plus de chance de faire faillite que BOEING, qui sera toujours soutenu par le gouvernement US.

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        • André Allard

          Si Ryanair fait faillite, c’est pas moi qui va verser un larme.

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    • BernardP

      * Saker Francophone *

      Un site que je ne connaissais pas, mais il suffit de lire quelques articles pour constater qu’il est certainement contrôlé par la Russie. Nous sommes habitués aux points de vue chauvins et biaisés de CNN et Time magazine, mais il est révélateur de lire des articles présentant un biais pro-Russe et pro-Iran.

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      • MarcelC.

        Extrait de ce site « Saker Francophone »:

        « Ni la FAA, ni l’EASA, ni la CAAC ne sont satisfaites des plusieurs couches de pansements que Boeing a mises sur le 737 MAX. Boeing devrait prendre des mesures radicales pour changer la cause profonde qui nécessitait un système MCAS en premier lieu. Cela pourrait changer l’aérodynamique de l’avion pour contrer l’attitude de cabrage de l’appareil. Cela coûterait plus d’argent et peut-être plus de temps. Mais c’est probablement la seule solution que tout le monde peut accepter. »

        Une solution qui s’apparente à un compromis entre l’abandon du programme et la création d’un avion 100% nouveau.

        https://lesakerfrancophone.fr/boeing-devra-arreter-sa-chaine-de-production-du-737-max

        N.B. Le titre de Boeing est en forte baisse, il a perdu autour de 5% aujourd’hui.

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      • Oui c’est ça. Ce sont les russes qui ont infiltrer la FAA et ont foutu en l’air le MAX …

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  • Louis Martineau

    Excellente analyse. Dommage pour les employé-es de l’avionneur américain et ceux aussi de ses fournisseurs. Invraisemblable que ceux qui sont responsables de ce gâchis soient encore en fonction pour la plupart.

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  • stephane

    ah quand tu joue a tordre le bras de ton motrist pour lui remettre les moteurs d’un autre client (bombardier) c’est juste le retour de l’ascenseur.Cwtte article ne donne pas la veai raison, qui n’est pas Airbus, mais bien Le Cseries de Bombardier.

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